AprĂšs une vie professionnelle bien remplie, Ă lâheure de transmettre son entreprise Ă son fils, Christian Bouas a souhaitĂ© rester actif tout en envisageant la vie autrement. La rencontre avec une oliveraie oubliĂ©e sur une Ăźle croate Ă la beautĂ© sauvage a concrĂ©tisĂ© son envie dâun retour Ă la terre et son besoin dâauthenticitĂ©. Il sâest alors consacrĂ© avec passion, exigence et respect, Ă ce terroir exceptionnel dont il produit Ăblica, une huile d’olive de la plus haute qualitĂ©. Suivons-le sur les chemins de cette reconversion rĂ©ussie dĂ©licieusement inattendueâŠ
Quelles circonstances vous ont amené à poser le pied la premiÚre fois sur le sol croate ?
La meilleure amie de ma femme est slovĂšne et possĂšde une maison de vacances en Croatie, sur lâĂźle de BraÄ [Bratch], la plus grande de lâarchipel qui en compte prĂšs de mille, Ă une heure de ferry au large de Split. Lorsque jây suis allĂ© la premiĂšre fois, jâĂ©tais alors en train dâorganiser la succession de mon entreprise dâinformatique et je souhaitais entrer dans une retraite active. Mais je voulais faire complĂštement autre chose.
A lâĂ©poque, je pensais Ă la vigne car ma rĂ©gion sây prĂȘte (je suis Toulousain). Mais mon fils aĂźnĂ© mâa fait remarquer trĂšs justement que, ne buvant pas de vin, ce nâĂ©tait pas forcĂ©ment une bonne idĂ©e ! Alors jâai achetĂ© une oliveraie. Sans ne rien y connaĂźtre non plus, je lâavoue. Pour tout vous dire, Ă lâĂ©poque, jâignorais que la diffĂ©rence entre les olives vertes et noires est juste une question de maturation⊠Mais ensuite, je mây suis intĂ©ressĂ© Ă fond, de maniĂšre quasi intĂ©griste, pour atteindre la plus grande qualitĂ© possible.
Quâest-ce qui vous a dĂ©cidĂ© ?
Jâaimais beaucoup le coin et depuis trĂšs longtemps, je rĂȘvais de revenir Ă la terre. Mon beau-fils, maraĂźcher bio en ArdĂšche, avait prĂȘchĂ© la bonne parole et ouvert une brĂšche⊠Jâai pris une conscience aiguĂ« de ce que nous faisons subir Ă notre environnement. Et puis je suis tombĂ© amoureux, câest vrai, de la beautĂ© sauvage des collines de BraÄ. La rencontre avec ce terrain dâoliviers oubliĂ© est arrivĂ©e au moment oĂč je sentais monter en moi le besoin, lâurgence de rendre Ă la nature, autant que possible ; je le fais Ă ma mesure, en poussant jusquâau bout lâexigence du respect de cet environnement. Il faut savoir que les Croates ont Ă©tĂ© les premiers Ă produire de lâhuile dâolive⊠Les Romains venaient se fournir chez eux ! Mais aujourdâhui, ils nâexportent toujours pas.
Mais ça ne sâimprovise pas⊠Comment sâest dĂ©roulĂ©e la suite ?
Jâai eu beaucoup de chances dans cette aventure. La premiĂšre tient Ă lâenvironnement exceptionnel de lâĂźle qui fait Ă lui seul une grande partie du travail. La seconde est dâavoir Ă©tĂ© dĂšs le dĂ©part bien entourĂ© et conseillĂ© par :
- mes proches car câest aussi une histoire de famille ;
- les gens du village de Povlja qui effectuent la cueillette ;
- un ingĂ©nieur agronome espagnol, Miguel Varo, spĂ©cialiste de lâhuile dâolive qui, aprĂšs lâavoir goĂ»tĂ©e, mâa convaincu de faire des analyses de sol et de feuilles, et a compris ma dĂ©marche du bio en bio diversité ;
- les crĂ©atrices de « Fou de pĂątisserie », mes « fans » de la premiĂšre heure, qui mâont introduit auprĂšs de nombreux professionnels, en particulier deux merveilleux artisans fromagers que jâadore : Taka & Vermo. Aujourdâhui, les fromagers composent le gros de mon rĂ©seau de clients.
Parlez-nous de ce concoursâŠ
Nâayant aucune pression et nâattendant rien, tant qu’Ă faire jâai visĂ© lâun des plus respectĂ©s : EVO, qui se dĂ©roule en Calabre (Italie) : concours international « Concorso Oleario Internazionale sullâOlio Extravergine di Oliva di Palmi ». Lâobjectif Ă©tait dĂ©jĂ dâĂȘtre sĂ©lectionnĂ©, ce qui est toujours une bonne chose pour la visibilitĂ©. Il se trouve que⊠nous avons gagnĂ© la mĂ©daille dâor et le titre de « Meilleure huile dâolive pure de lâhĂ©misphĂšre Nord ». Je nâen suis pas fier car au final, je nây suis pas pour grand-chose. Mais jâen suis trĂšs heureux.
Pour un coup dâessai, câest un coup de maĂźtre !
Cela en a en agacĂ© plus dâun⊠En particulier les distributeurs « faiseurs de litres », qui achĂštent sans savoir, mĂ©langent les provenances, font croire que nâimporte quelle variĂ©tĂ© peut pousser et produire la mĂȘme chose hors de son terroir et dupent les consommateurs par de vulgaires piĂšges.
Notre huile bĂ©nĂ©ficie, elle, de la plus grande traçabilitĂ©. Une Ă©tiquette accrochĂ©e au goulot de chaque bouteille indique entre autres les numĂ©ros de parcelles, les prĂ©noms de lâĂ©quipe de cueillette et le taux dâaciditĂ© de lâhuile. Câest ce dernier qui diffĂ©rencie une huile vierge dâune huile extra-vierge pour laquelle il doit ĂȘtre infĂ©rieur Ă 0,80. Celui dâĂblica [Oblitsa] est de 0,12⊠Au concours, ils ont refait lâanalyse car ils nây croyaient pas ! Je pourrais en effet Ă©crire nâimporte quoi. Mais je nâai aucun intĂ©rĂȘt Ă faire ça.
Expliquez-nous ce qui rend votre huile si exceptionnelleâŠ
La haute qualité de notre huile tient à plusieurs facteurs :
Un terroir trĂšs particulier
Avant dâĂȘtre le nom que jâai donnĂ© Ă mon huile, Oblica est une variĂ©tĂ© dâolives endĂ©mique de la Croatie. Nos oliviers poussent dans un environnement totalement prĂ©servĂ©, sur des sols trĂšs calcaires jouissant dâune grande biodiversitĂ© et balayĂ©s par des vents chargĂ©s dâiode. Alors que la plupart des producteurs sont obligĂ©s de faire du goutte-Ă -goutte, nos oliviers sont tellement habituĂ©s Ă la sĂ©cheresse quâils nâont pas besoin dâeau !
Une culture bio
A laquelle sâajoutent les principes de la permaculture (car pour moi, le bio commence par le respect du solâŠ).
Une cueillette manuelle
Elle permet de conserver lâintĂ©gritĂ© de chaque olive et implique par ailleurs le respect dâautres bonnes pratiques ancestrales : jamais plus de 100 arbres Ă lâhectare (notre oliveraie en compte seulement 69) et une taille de lâolivier trĂšs basse (du fait du mode de rĂ©colte) qui a pour avantage de limiter lâombre et donc de permettre une meilleure photosynthĂšse de lâensemble des fruits.
Une pression Ă froid
Elle est rĂ©alisĂ©e dans un moulin du village aprĂšs sĂ©lection dĂšs la cueillette, Ă lâissue de laquelle lâhuile est laissĂ©e pure, non filtrĂ©e, afin dâen prĂ©server toute la richesse organoleptique.
Une conservation dans des fĂ»ts d’inox alimentaire
Je les ramĂšne moi-mĂȘme Ă Toulouse en voiture oĂč ils sont stockĂ©s dans une piĂšce Ă tempĂ©rature constante.
Une mise en bouteille Ă la demande
Elle se fait au moment de la commande, garantissant ainsi une fraĂźcheur exceptionnelle.
Jâimagine que la rĂ©colte est un moment que vous ne rateriez pour rien au monde !
Les olives destinĂ©es Ă faire de lâhuile sont rĂ©coltĂ©es mi-octobre et la cueillette dure une grosse semaine. Nous y participons en famille. Ce sont de dures journĂ©es mais empreintes dâun vrai bonheur. Cela fait des annĂ©es que je souhaite organiser « la cueillette des amis » mais câest compliquĂ© Ă mettre en place du fait que nous savons que nous allons cueillir seulement quelques jours auparavantâŠ
Votre huile doit avoir une saveur trĂšs particuliĂšreâŠ
Le sol exceptionnellement calcaire, les vents chargĂ©s dâiode, et le climat chaud et sec (pas plus de 20 jours de pluie par an) propice Ă la maturation apportent Ă lâolive une saveur particuliĂšre que cette huile verte de caractĂšre, douce mais puissante, restitue avec authenticitĂ©. Au nez, elle exprime un parfum dĂ©licat dâherbe coupĂ©e, une amertume dâartichaut et dâamande et un piquant de wasabi.
Votre bouteille est aussi un trĂšs bel objet qui signe le sens des dĂ©tailsâŠ
Jâai eu aussi de la chance par rapport Ă cela car figurez-vous que jâai rencontrĂ© par lâintermĂ©diaire de mon amie croate celui qui mâa proposĂ© de dessiner lâĂ©tiquette sans savoir alors quâil Ă©tait⊠le responsable design de Chanel ! Je peux vous dire quâil nâa rien laissĂ© au hasard. Au niveau des symboles, lâaccent croate, qui ne se trouve normalement jamais sur un « o », reprĂ©sente les oiseaux de lâĂźleâŠ

Combien en produisez-vous par an ?
1 000, ce qui ne reprĂ©sente que 500 litres. Mais mon objectif est la qualitĂ©, pas la quantitĂ©. Je suis et souhaite rester un artisan. Je peux me permettre ce luxe puisque je nâai aucune obligation de rĂ©sultat.
Comment envisagez-vous lâavenir ?
Nous réfléchissons sans cesse aux maniÚres de continuer à améliorer notre travail tout en restant fidÚles à nos valeurs.
Les sols de lâoliveraie sont analysĂ©s chaque annĂ©e afin de pouvoir choisir puis appliquer les engrais naturels les mieux adaptĂ©s. Il en est de mĂȘme pour les feuilles afin de mieux comprendre la nature et les effets de nos choix.
Notre nouvel objectif est dâamĂ©liorer la pollinisation. AprĂšs avoir fait le tour de la question, les anciens mâont donnĂ© la solution que jâattendais, la plus naturelle qui soit : planter des oliviers dâune variĂ©tĂ© cousine (Levantica) – dix arbres par hectare, face au vent – qui auront pour seule mission la pollinisation de nos Oblica. Bien sĂ»r, le rĂ©sultat sera plus long, mais je ne suis pas pressĂ©âŠ

Un dernier mot, Christian ?
Ce qui me rĂ©jouit le plus, dans cette aventure, ce sont les rencontres, et une nouvelle forme de relation avec mes clients, beaucoup plus conviviale, bien sĂ»r, que celle que jâai pu connaĂźtre auparavant. Je voudrais remercier ceux qui m’ont aidĂ© Ă en arriver lĂ : Marie, Robinson, Julianne et les habitants de Povlja. Et aussi les deux personnes qui ont travaillĂ© avec moi dans le verger, Pero et Nike, sans oublier le moulinier de Pucisca. Merci Ă vous tous ! â

Crédits photos : ©Oblica